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Regarder, composer
Liz Santoro investit le pouvoir du regard. L'expérience sensible de la danse et de son spectateur sous-tendent une politique des mises en relations.
On pourrait traduire Relative Collider, le titre de la nouvelle pièce de Liz Santoro, approximativement par Accélérateur de particules relationnelles.
Ses interprètes reproduisent à l'infini des variations de combinaisons, sur une base de séries en huit pas au sol. Cela se compose en atomes de qualités statiques (le stationnaire, le jeté, l'extérieur, le pivot, etc) ou en locomotion (la marche, le glissé, le sautillé, etc). Des molécules en découlent, combinant les divers atomes de pas avec, en outre, une foule de variations de motifs des membres supérieurs.
Les séries composées peuvent se renverser à rebours exact de leur déclinaison d'origine. Mais le tout doit encore être plongé dans des champs de caractérisations temporelles, qualitatives, et visuelles : chaque interprète se considérant lui-même, ou bien s'impliquant dans le regard avec ses partenaires, ou encore avec les spectateurs. Tout en sachant que ces derniers projettent activement leurs regards sur les premiers.
On se situe donc fort loin d'une sèche mécanique, dans l'écriture de cette jeune chorégraphe new-yorkaise. Certes, au premier coup d'oeil, on songe à la grande tradition de l'abstraction formelle qui, de Merce Cunningham à Lucinda Childs ou Karole Armitage a noué des repères essentiels de la grande modernité chorégraphique d'Outre-Atlantique. On retrouve chez Santoro cette manière de tenir à distance toute narration, psychologie ou personnage. Plutôt qu'exprimer un point de vue sur la beauté du monde, un système est inventé, qui le fait révéler de lui-même sa beauté.
Mais la chorégraphe cultive un autre temps, qui a dorénavant conscience de la performativité des pures présences en scène, toujours déjà chargées de potentialité fictionnelle ; et plus encore conscience de ce que le regard est toujours déjà un choix, qui détermine les caractéristiques du réel, les compose, bien plus qu'il ne se contente de les enregistrer. Regarder les danseurs de Relative Collider, c'est entrer en situation et relation, c'est charger de conscience la présence réciproque de chacun à tous et vice-versa.
Si faussement mécaniques que puissent apparaître les pas, leur prolifération incessante finit de dégager l'horizon d'une aspiration à l'infini, où chacun peut se penser extraordinairement singulier, mais égal, dans la marche d'un monde de neutralité, mais saturé de motifs, cristallisant à chaque instant une immensité de situations intensifiées.Texte réalisé par Gérard Mayen sur une commande de l’Atelier de Paris-Carolyn Carlson dans le cadre de la résidence de création de Liz Santoro. Droits de reproduction réservés.