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Tout est une affaire de ping-pong
Présentée au Théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé, la pièce Relative Collider, conçue par Liz Santoro et Pierre Godard, invite le spectateur à « pauser » son regard sur l’accélération intermittente des corps-particules. Entre mouvement et texte, la pièce offre un système en soi dans lequel peut advenir un jeu de ping-pong.
Le nombre de pièces chorégraphiques que l’on regarde et qui impose ce qu’il faut voir ne se compte plus. Sans relation possible entre la scène et la salle, sinon celle d’une soumission. Un corps sous contrôle qui contrôle l’œil. Et où l’œil est dans l’obligation de recevoir sans pouvoir investir, parce qu’il n’y a rien à investir, la mécanique des corps, et même l’espace entre eux, étant bouclés. On a déjà pensé pour le spectateur. Désormais qui prend le risque de se soucier de ce regard et de jouer avec lui ? Comment construire ensemble un terrain pour le ping- pong ? Les occasions sont rares, mais elles arrivent. C’était au Théâtre de Vanves, le 11 mars dernier, pour la première de Relative Collider, pièce conçue par Liz Santoro et Pierre Godard, où les corps (ceux des danseurs : Liz Santoro, Cynthia Koppe et Stephen Thompson) et la voix (celle de Pierre Godard, situé, pendant toute la durée de la représentation, côté cour derrière un pupitre) mettent en place un système à la fois très construit, mais également très ouvert qui permet cette relation productrice de sens, un sens qui n’a pas de fin.
Rentrer dans Relative Collider (que l’on peut traduire par Accélérateur de particules relationnelles), c’est comme entrer dans une machine où les corps seraient des atomes (1) projetés sur un parquet (élément de la scénographie, minimale) produisant des réflexions (au sens physique du terme) : entre eux, avec la scansion vocale et avec le public. Un œil qui part à gauche, une jambe qui se développe à droite. La pièce commence lorsqu’ils arrivent tous les quatre sur scène par l’entrée publique. En triangle, les danseurs maintiennent une cadence en frappant le sol de leur talon. La rythmique est plus que précise, parce qu’elle est conduite par une partition. Cette configuration de départ contient toute la mécanique partitionnelle à venir qui ne va cesser de se développer et s’accélérer. La pièce s’est construite à partir de deux séquences (A et B) divisées en huit phrases sachant que pour chaque phrase, il existe une partition de mots, une partition pour les jambes et une troisième pour les bras (inspirées des gestes produits dans la première pièce de la chorégraphe : We Do Our Best, présentée à Vanves en 2012). Plusieurs calages (bras sans jambes ou bras, jambes et voix, etc.) sont donc possibles dans la mécanique. Ensemble et/ou en différé. Aussi, comment s’opère le ping- pong ?
La danse est là où elle est. Mais là où est la danse, le spectateur peut dire : « Je suis. » Il ne s’agit pas d’un jeu de ping-pong ordinaire où il y aurait un frappement de balle, un envoi, une réception et de nouveau un envoi. La partie est plus subtile. Les regards, les pauses des danseurs ou le mouvement isolé d’une épaule en avant n’envoient pas une information mais bien plutôt appellent la réception. Le développement (on pourrait employer le mot de dramaturgie dans le sens d’agencement) de la pièce est progressif, l’accélération n’est ni soudaine, ni immédiate. Une fois que notre regard est pris dans les pauses, il s’embarque dans les sauts et les trajets, devient circulaire. Les comptes sont énoncés de plus en plus rapidement : « one two three four / six seven eight. » Les mouvements deviennent de plus en plus expansifs, effectués à un rythme soutenu et les phrases (en anglais) fusent. Les corps sont les conducteurs d’une énergie (donnée par la partition) offerte. L’œil prend, en partage. In fine, le rythme décélère, les danseurs se rapprochent en ligne des gradins, regards fixes. Quelle partie avons-nous jouée ?