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L'Humanité | May 27, 2019
Danse. Lorsque le corps vivant se moque de l’algorithme, Muriel Steinmetz
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Liz Santoro et Pierre Godard, puis Eleanor Bauer, s’affichent avec éclat aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis.
Les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, orchestrées par Anita Mathieu, ont lieu jusqu’au 22 juin, avec 23 compagnies venues de l’étranger. Samedi dernier, à la MC93 de Bobigny, Liz Santoro, chorégraphe et danseuse américaine, et Pierre Godard, ex-ingénieur expert en recherche de formes performatives, qui soutient une thèse sur l’intelligence artificielle, ensemble à la tête de la compagnie du Principe d’incertitude, ont proposé Stereo, un solo dansé par elle, vêtue d’un bermuda collant et d’un petit haut. Debout, les yeux clos, elle palpe l’air puis, la tête ailleurs, esquisse de curieux mouvements. Des signes d’intelligence à qui adressés ? Soudain, des mots s’affichent au sol et sur le mur du fond.
La danseuse Cynthia Koppe se présente en direct depuis New York, via des lettres tapées fort sur un clavier. On ne la voit pas. Pendant que Liz Santoro évolue avec rigueur et énergie, ses jambes gracieuses bondissant en courses victorieuses de plus en plus émancipées, Cynthia Koppe lui fait part de ses impressions en direct et en anglais. Les lettres et la danse se partagent l’espace. Les pieds évoluent au milieu des mots qui se faufilent en filant comme des obus. En s’amoncelant autour des gestes, le texte essaie juste de réagir au corps irréductible de l’interprète, sans toutefois le contrôler. Les lettres dansent aussi. L’émotion de la danse passe dans le corps du texte. Des fautes s’y effacent et des exclamations fusent. On ne sait plus où donner de la tête devant ces deux corps distants. Liz Santoro et Pierre Godard contrecarrent ce que les logarithmes et les datas peuvent faire de nos vies : contrôler l’ensemble de nos comportements. Avec eux, le corps vivant mène la technologie où il veut.